De l'entraînement en solitaire...
Publié le 19 Septembre 2013
J’ai choisi de répondre a un lecteur ici par soucis de clarté de lecture. Voici donc son commentaire au sujet de mon article précédent Étudier ou dépasser le Maître :
“Bonjour,
j'ai eu une petite réaction en lisant votre dernier paragraphe "c’est le travail solitaire qui permet de progresser en l’absence de guide, de conseil ou de partenaire"
En l'absence de guide, de conseil ou de partenaire, c'est en effet un travail solitaire. Mais permet-il vraiment d'aller loin dans la recherche et le progrès ? En karaté il y a les kata qui se pratiquent seul et là encore il y a le souci de la non-correction et souvent on intègre dans nos réflexes des erreurs. Je parle d'erreurs de fond pas de forme, bien plus grave pour notre cheminement. Ayant peu fait d'Aïkido, mais je peux dire qu'il en est de même dans le ïai.
La critique est le seul miroir qui permet de progresser. Celle-ci peut-être l'auto-critique, encore faut-il se voir véritablement et un miroir ne suffit pas (j'utilise la caméra pour ma part, je ne suis pas narcissique mais c'est le meilleur moyen pour progresser seul). Mais la meilleur critique vient des autres. Elle peut venir d'un guide, d'un partenaire ou d'un élève.
C'est pour cette raison que je me suis mis à enseigner. Loin de mon "guide", il m'a fallu trouver des moyens de remplacement. Il y a les stages avec la possiblité d'avoir des partenaires expérimentés mais à un stage par mois cela limite. Et il y a eu les élèves, ils m'obligent à me remettre en question, pourquoi je fais comme çà et non autrement ? Si je fais ceci pour çà alors cela je dois le faire aussi pour çà, donc il faut que je modifie mon travail pour m'améliorer. Chaque année je dis un grand merci à mes élèves même débutants pour tout ce qu'ils m'ont ... enseigné.”.
Cher Marc,
Si cette proposition peut en effet être lue de façon indépendante, elle fait néanmoins partie d’un texte complet. Si les mots seul ou solitaire vous posent problème, vous pouvez les retirer, le sens global ne changera pas.
Après avoir indiqué ce que je crois être les différents niveaux d’implication dans l’étude et les difficultés correspondant, j’ai indiqué jusqu’où ces méthodes pouvaient éventuellement amener un élève. L’utilisation des mots seul et solitaire était tout à fait délibérée. Elle visait à mettre l’accent sur le fait que cet effort relevait du choix et du travail personnel de chacun. Sans quoi venir à un cours, qu’il soit d’Aïkido ou de Karate me semblerait aussi profitable que de regarder un film d’Aïkido ou de Karate. Le fait d’être présent n’étant pas suffisant pour progresser, c’est cet état d’esprit pendant la pratique qui est source de progrès, que l’entraînement soit solitaire ou pas. Enfin, à partir d’un certain degré d’implication dans la pratique, le travail en solitaire prend une part de plus en plus essentielle dans la progression.
Kuroda Tetsuzan pratiquant le Iaï
En ce qui concerne les kata, la définition qu’en donne Léo ici me convient parfaitement:
“En japonais kata signifie « forme, moule ». De tous temps les disciplines martiales se sont transmises par le kata. Qu’il s’agisse d’enchaînements de techniques comme en Karaté, dans certains styles de Kung-fu ou en Iaïdo, ou que cela soit aussi bref qu’une technique d’Aïkido, de Judo, ou même un coup de poing en boxe. Dès lors que l’on transmet un geste cela est une forme de kata, dans le sens large du terme.”.
La non-correction quand à elle est en effet une difficulté majeure de l’entraînement solitaire qui amène souvent la plupart des pratiquants à y renoncer. Avant cela déjà, la plupart de ceux qui y songent se retrouvent face à un vide lorsque la question de savoir quel type d’exercice faire seul se pose. Mais je n’avais pas seulement écrit: "c’est le travail solitaire qui permet de progresser en l’absence de guide, de conseil ou de partenaire", j’ai poursuivi avec: “c’est le travail qui permet de découvrir par soi-même et de devenir autonome, c’est le travail qui peut permettre à l’élève de poursuivre le chemin emprunté par son Maître.” car je crois que rendre ses élèves élèves autonomes et aptes à la poursuite de leur propre chemin seul doit être le but de tout enseignement.
En dehors du fait que l’on ne progresse que proportionnellement aux efforts que l’on fournit, un enseignant se doit de donner à ses élèves les outils nécessaires pour qu’ils puissent se débrouiller seuls. On ne peut empêcher des erreurs d’être commises et ce n’est pas un réel problème du moment que l’on apprend de celles-ci. Développer le jugement et la sensibilité de ses élèves afin qu’ils se trompent le moins possible me semble en revanche primordial. Autrement, ils resteront toujours dépendants de leur enseignant pour leur progression. C’est mon principal souci à l’heure actuelle en dehors de celui de ma progression personnelle.
Progresser seul...
Dans mon propre cas, je ne puis borner ma progression au bon vouloir d’un partenaire éventuel, d’un endroit adéquat pour travailler, d’un temps de pratique confortable, d’une tenue convenable, d’un outil adapté ou d’un maître à disposition.
Les stages que je fais auprès de maître Kuroda sont mes seules occasions de recevoir un enseignement deux ou trois fois par an. J’apprends également beaucoup auprès des maîtres Hino et Kono. En dehors de cela, je travaille non seulement à incorporer ce que j’ai pu comprendre de leurs leçons mais je cherche aussi par moi-même comment améliorer ma propre pratique. Chaque millimètre parcouru par mes propres moyens sera autant de progrès accompli vers une meilleure compréhension de mon art comme de moi-même.
Si pour se voir véritablement je ne crois effectivement pas qu’un miroir suffise, je ne suis pas convaincu de dire que la meilleure aide soit toujours une critique ou qu’elle vienne toujours des autres. Même si effectivement, on apprend beaucoup de nos propres élèves, je crois qu’on apprend d’autant mieux et plus que la personne qui nous aide a un niveau élevé. Et parfois, comme souvent lorsque l’on enseigne, nous sommes la personne avec le niveau le plus élevé.
Si l’entraînement en solitaire est aujourd’hui rarement pratiqué, aucun des Maîtres que je suis n’a jamais fait l’économie de ce type d’entraînement. Il n’est en aucun cas réservé aux pratiquants avancés, les bénéfices de l’exercice pouvant se ressentir même si l’on débute. Un signe peut-être significatif est que chacun de ces maîtres hors-normes a développé la majeure partie de son art par ses propres moyens, sans partenaire de travail avec une quelconque équivalence de niveau, en solitaire.
Bon entraînement,
Issei
Travail solitaire...