Tonsure, mesure et austérité
Publié le 22 Octobre 2014
Un élève m’a récemment demandé si un des maîtres que je suis vivait dans un temple ou un monastère. Et la question suivante aurait probablement du être si moi aussi j’étais allé faire ce genre de retraite.
La réponse est non. Aucun des maîtres que je suis ne vit dans un monastère. Maître Tamura vivait certes à la campagne mais il n’a jamais vécu isolé. Maître Kuroda vit dans la banlieue de Tokyo et si Hino sensei a sa maison dans les montagnes, il y passe moins de temps qu’en déplacements incessants. Quand à Kono sensei, il vit également à Tokyo malgré son originalité assumée.
Au Japon, il n’y a pas de confusion entre les pratiquants d’arts martiaux et ceux de disciplines plus ou moins spirituelles. Les bienfaits de la pratique des arts martiaux pour l’esprit comme pour la santé sont clairement établis mais la religion relève d’un autre domaine, pas nécessairement incompatible. Sasaki Masando sensei était bien lui-même prêtre Shinto. Mais personne au Japon ne s’attend à trouver dans un maître d’arts martiaux un saint homme. Comme on ne s’attend pas non plus à ce qu’il soit végétarien ou qu’il vive dans une cabane au milieu du désert. On peut sans aucun doute trouver des personnes ayant ce type de recherche mais ce serait autant étrange que de s’attendre à ce qu’un musicien ou un danseur ne mange que des haricots ou passe son temps reclus parmi des moines à boire du thé.
Kenchoji, Kamakura
Mes parents ne m’ayant élevé dans aucune tradition spécifique, je n’ai de goût pour aucune religion particulière et je me borne à respecter chacune d’entre elles pour le peu que j’en connaisse. Les maîtres qui m’inspirent apprécient les bonnes choses, tous boivent de l’alcool et mangent de la viande, aucun ne vit isolé du monde. Ils ont tous leur caractère et leurs défauts, mais leur maîtrise va de pair avec un comportement irréprochable, quelle que soit l’heure tardive jusqu’à laquelle ils auront eu la gentillesse de partager leur enseignement. Et surtout, rien de cela ne les a empêché d’atteindre l’excellence dans leur domaine de pratique.
Je suis certain des bienfaits des plongées dans la pratique intense durant une période donnée. Mais je ne suis pas fait pour vivre dans l’isolement. Enfant des villes, j’ai tenu trois jours lorsque j’avais 17 ans avant de marcher 5 km en plein hiver jusqu’à la gare la plus proche afin de retrouver la civilisation. J’aime boire et manger de bonnes choses et même si il n’y a rien dont je ne puisse me passer, je suis trop attaché à la terre et à ses bienfaits pour pouvoir y renoncer le coeur léger.
C’est donc librement que je puis parcourir le chemin emprunté par mes maîtres qui ne confond pas mesure et austérité.
Maître Deshimaru
Mesure...