Intention et mouvement

Publié le 22 Janvier 2015

 

Une question qui m’est régulièrement posée de savoir comment développer le travail sur l’intention. Il existe bien sûr des exercices qui peuvent être étudiés mais la véritable question est de savoir s’il existe un raccourci pour devenir efficace et si l’on peut faire l’impasse sur le travail physique et se contenter du travail mental pour dépasser les autres brutes. La réponse est évidemment non. Il n’y a pas de raccourci pour les adeptes martiaux.

 

Et même si c’était possible, ce serait sans intérêt car même avec la meilleure sensibilité, une intention qui ne serait pas soutenue par un mouvement capable de la mettre en oeuvre serait de la simple imagination, de même que percevoir une intention sans pouvoir influer sur sa réalisation serait aussi inutile dans un affrontement mortel que de ne pas l’avoir perçue.  

 

Les arts martiaux sont le plus difficile des arts du mouvement. Être surpassé dans ce domaine signifie mourir. Il s’agît donc d’accomplir le mouvement du plus haut niveau qui soit afin de ne pas être pris en défaut. Dans un mouvement juste, on ne peut pas dissocier le corps et l’esprit. Un mouvement ne peut être juste que si le corps et l’esprit ne sont pas dissemblables. C’est de l’équilibre de l’esprit et de la conscience du corps que naît la liberté de mouvement. Le moindre décalage entre les deux serait pour l’adversaire une ouverture béante dans laquelle s’engouffrer. Une dissociation du travail n’est pas possible. 

 

 

 黒田先生4 0110

Kuroda Tetsuzan Iaijutsu

 

 

Il n’est possible de faire l’économie ni du travail corporel, ni du travail mental. Mais avant de pouvoir étudier ce qu’il y a en profondeur, au delà des apparences, il convient d’être en mesure de lire ce qui se trouve à la surface, l’apparent, le visible. C'est donc par là qu'il faut commencer à étudier. 

La lecture de l’intention n’est rien de plus que la lecture des mouvements de l’esprit. Elle n’est que la continuité de la lecture des mouvements du corps. Il ne s’agit pas d’un travail de nature différente mais simplement d’un degré de finesse plus profond. Il n’est donc pas nécessaire de pratiquer des exercices différents de ceux utilisés pour construire les mouvements justes.

 

L’étude du mouvement juste commence par l’épuration des gestes. Il s’agît d’écarter tous les mouvements parasites qui ne permettent pas au geste étudié d’aller à l’essentiel. Ce travail de déconstruction permet de se débarrasser des schémas de mouvements préconçus et de construire une nouvelle architecture du mouvement. Pour l’adepte à l’oeil exercé, toute approximation ou soubresaut superflu devient par cet entraînement une gesticulation grossière et le mouvement corporel devient ainsi, lisible.

 

Comme il est toujours plus aisé de lire que d’écrire, la perception s’affinera toujours plus rapidement que l’aisance du mouvement. A mesure que les décalages entre le corps et l’esprit s’effacent, que les mouvements se taisent et finissent par devenir peu à peu silencieux, ce sont les mouvements de l’esprit qui finissent par transparaître et trahir, plus que ceux mal contrôlés du corps. Ainsi, après s’être débarrassé des mouvements parasites du corps, il faut donc se débarrasser des mouvements parasites et de l’inertie de l’esprit.

Travailler les yeux fermés est bien entendu très utile pour approfondir cette sensibilité mais ce travail permet surtout aux pratiquants débutants de commencer à utiliser d’autres informations que celles uniquement fournies par leurs yeux, le corps entier devant être sensible et ce, même les yeux ouverts.

 

 

 黒田先生2 0964

Kuroda Tetsuzan Iaijutsu

 

 

Art extrême du mouvement, la question de l’immobilité devient essentielle. Essentielle comme les silences le sont en musique. Si le son juste est d’abord une absence de bruit, l’absence de son devient le silence du musicien. 

Pour l’adepte martial, le mouvement est d’abord une absence de geste inutile, l’absence de mouvement son silence, le mouvement immobile.

 

Pour y parvenir, une fois éliminés les gestes parasites, il ne faut pas confondre absence de mouvement et impossibilité de mouvement, immobile et inerte, vivant et mort. Les verbes rester, patienter et attendre sont des actions, l’immobilité juste doit donc être l’action consciente de ne faire aucun geste, le mouvement restant en suspens. Bien entendu, être dans l’impossibilité de bouger n’est pas l’action consciente de rester immobile, c’est une défaite. Il n’y a pas de pat comme aux échecs.

Disposer d’une liberté de bouger totale mais consciemment rester immobile est très différent. C’est avoir tous les mouvements potentiellement réalisés contenus, en un point, en attente de l’étincelle qui fera jaillir le mouvement opportun. C’est la retenue de l’esprit qui n’anticipe pas mais reste en équilibre, sur le fil, en attente du souffle qui lui fera quitter l’extrémité de sa branche. La véritable immobilité n’est ainsi réalisable que lorsque le corps et l’esprit sont parfaitement libres.

 

Peu importe de parvenir à réaliser tel ou tel mouvement, ou à une hypothétique illumination car plus notre acuité s’aiguise, plus nos défauts deviennent gênants. Et bien que nous avancions indéniablement, nous ne sommes jamais satisfaits de nos progrès. Si c’est parce que l’on regarde le chemin qu’il nous reste à parcourir que nous sommes insatisfaits, c’est un sentiment tout à fait utile qui nous pousse à travailler plus intensément. Et si lorsque l’on se retourne pour voir le chemin parcouru un léger apaisement survient, c’est aussi un encouragement à poursuivre la route car c’est le signe que les efforts accomplis jusqu’ici n’auront pas étés accomplis en vain. Parce qu’avant tout, c’est la beauté du chemin qui nous a fait prendre goût à la marche.

 

 

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      Kuroda Tetsuzan Iaijutsu

 


 

 

Rédigé par Issei Tamaki

Publié dans #Aïkido et Budo

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T
Merci
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P
Je ne fais pas d'Aikido. Je suis un danseur (danse sportive). Votre article est vraiment super / passionnant. Vous écrivez bien et de manière intéressante. Cela pourrait s'appliquer à la danse également (la danse de compétition ; essayer d'aligner: « action / pensée / émotions »), ainsi qu'à la plupart des activités de la vie. Créer une sorte d’harmonie entre le corps et l’esprit dans la recherche d’une forme de justesse de l’action.<br /> <br /> Question subsidiaire : connaissez vous un club en Auvergne (Clermont, Vichy) ou le « Ki No Michi » serait enseigné ? <br /> <br /> Bonne journée et merci pour ce blog!
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I
Bonjour,<br /> <br /> Je vous remercie pour votre message. <br /> En ce qui concerne le Kinomichi, je vous conseille de vous renseigner sur le site http://www.kinomichi.com/ <br /> Si des cours ne sont pas disponibles, vous aurez toujours la possibilité de vous rendre à des stages qui sont organisés régulièrement.<br /> <br /> Merci pour la lecture,<br /> <br /> Issei
P
Bonjour, merci pour ce magnifique article sur l'intention. Ayant fait de l'aïkido ma philosophie de vie, saisir l'intention est aussi difficile dans la pratique que dans la vie de tous les jours et je vous rejoins que dans le fait d'être libre dans notre corps et notre esprit, le mouvement prend sa place naturellement. Du mouvement psychologique pour créer un piège à son adversaire, saisir l'intention est une clé de survie et d'évitement dont le pouvoir est énorme face à un manipulateur. Encore merci.
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I
Bonjour Philippe,<br /> <br /> Merci pour la lecture,<br /> <br /> Issei
L
Bonjour Issei<br /> Très bel article sur l'intention. <br /> L'immobilité et ne rien faire sont 2 choses différentes. <br /> A bientôt <br /> Lionel
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I
Bonsoir Lionel,<br /> <br /> Avez-vous fait bonne route?<br /> <br /> Merci pour les deux jours partagés au Havre et merci pour la lecture ;-)!<br /> <br /> Issei
A
Très bel article. Tout à fait d'accord avec le contenu. Je dirai même que lorsque l'on s'habitue à travailler le mouvement par le ressenti, et pas juste le faire, tout change. Le mouvement est de lui même modifié par la perception que l'ont en a. domo arigato gozeimashita Senseï.<br /> Marc.
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I
Bonsoir Marc,<br /> <br /> Merci pour la lecture ;-)<br /> <br /> Issei
D
Merci Issei pour cette excellente publi.<br /> En toute chose l'intention est fondamentale. Et c'est bien la difficulté des arts martiaux que d'unifier l'esprit et le mouvement. La pratique a cette vertu de nous obliger à l'humilité...
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I
Cher Daniel,<br /> <br /> Je suis tout à fait d'accord. <br /> <br /> Merci pour la lecture ;-)<br /> <br /> Issei