Tamura Sensei, décédé le 9 juillet 2010
Publié le 5 Août 2015
Lors d’une discussion à l’occasion du dernier Kishintaïkaï, Paul Janssen des Pays-Bas et moi avons évoqué nos souvenirs de Maître Tamura dont il a suivi l’enseignement depuis les années 80.
Cela fait maintenant 5 ans que Tamura Sensei est décédé. J’ai rencontré Tamura sensei en 1997 et cette rencontre a eu une influence décisive sur ma vie. Je n’aurais pas poursuivi le chemin de l’Aïkido sans avoir croisé sa route sur les tatami il y a 18 ans. Je n’aurais pas non plus rencontré ma femme et mes enfants ne seraient jamais nés. Le Kishinkaï n’existerait pas. Il est probable que nous n’aurions pas été assis à la même table avec Paul à Reims, il est même probable que nous ne nous soyons jamais rencontrés et que ces lignes n’auraient jamais été écrites.
J’aurai souhaité qu’il fut encore parmi nous, la vie aurait été bien différente. Avec un emploi du temps réglé comme une horloge, je me serais déplacé en famille, avec des camarades de dojo à chacun de ses stages mensuels en France et j’aurai assisté à ses stages d’été en bord de mer sans me poser la question de savoir où prendre mes vacances. Si il avait pu vivre encore 10 ans de plus, peut-être même aurait-il pu enseigner à mes fils.
Mais bien plus qu’une vie paisible sans surprise, sa disparition a laissé un grand vide auquel nous avons dû faire face. Je ne saurais bien sûr comparer ma petite infortune à la tristesse que doit encore éprouver sa famille.
Il n’a pas fallu attendre longtemps avant que les loups ne sortent du bois et se battent entre eux pour essayer de s’approprier une part de la place qu’il occupait. Comme un enfant croyant pouvoir devenir un homme en endossant la veste trop large de son père, les adultes sourient en voyant disparaître les mains à l’intérieur des manches lui descendant jusqu’aux genoux.
Pourtant, pas plus dispersée qu’auparavant, la famille de l’Aïkido a tout simplement perdu un Maître suffisamment brillant pour être incontestable.
Nous avons dû apprendre à créer notre place sans attendre que l’on nous en laisse une et cela n’a tristement pas été qu’une question technique de dojo. Évidemment, cela n’a été facile pour personne. Néanmoins, je lui en suis reconnaissant.
Je lui en suis reconnaissant car il nous a laissé la chance d’être livrés à nous-mêmes, libres de construire notre propre Aïkido sans demeurer de vulgaires copies sans âme, enfermées dans sa technique aussi exceptionnelle fût-elle.
Nous avons dû chercher par nous-mêmes au lieu de simplement attendre que l’on nous montre comment faire. Nous avons dû devenir capable de progresser sans aide avec pour seule limite, non plus seulement les conseils de notre Maître, mais uniquement les limites de notre propre travail.
Je prends cela comme un cadeau de départ qu’il nous aurait laissé, une ultime leçon destinée à qui voudrait bien l’entendre et que bien peu ont reçu. Le souvenir précieux de ses silences me guide toujours aujourd’hui.
J’imagine le regard amusé qu’il porterait sur nous s’il regardait maintenant dans notre direction, amusé de nous voir nous démener et avancer péniblement sur un chemin qu’il aurait lui-même parcouru bien des années plus tôt.
Mais j’ai surtout le sentiment qu’il est partit sans laisser aucun aïkidoka orphelin, sachant qu’il nous laisserait entre les meilleures mains qui soient, les seules qui vaillent, des mains libres, les nôtres.
Merci Sensei.
Les funérailles de Tamura Sensei, par Léo Tamaki
Lettre d’adieu à Tamura Sensei, de Yamada Shihan
Interview de Tamura Sensei, par Léo Tamaki