Une cure de jouvence
Publié le 15 Mai 2012
Tout comme le travail seul, les entraînements intensifs sont essentiels pour la pratique. Ils permettent d’aborder l’entrainement sous un autre angle, et de découvrir des choses qui ne peuvent s’éprouver que dans ces conditions.
Durant un stage intensif, la quantité d’heures de travail accumulée permet de se rendre compte de choses que le même nombre d’heures espacées dans la durée ne nous permettrait pas de saisir. Le cerveau baigné d’informations, il continue de travailler durant ses périodes de repos. Il vit littéralement l’Aïkido en permanence.
J’ai profité des dernières vacances scolaires pour participer à un stage intensif, 6 heures par jour pendant 5 jours, avec deux groupes d’une douzaine d’enfants: 8/12 ans le matin et 5/8 ans l’après-midi.
J’ai commencé à donner des cours aux enfants assez tôt et peut-être trop tôt car je n’y avais pas beaucoup pris goût jusqu’à la naissance de mon premier garçon, c’est-à-dire presque dix ans plus tard.
Enfin, je ne savais pas trop à quoi m’attendre puisque je ne connaissais ni le lieu, ni les élèves, ni l’organisation. Mais je n’ai pas été déçu du stage et j’espère, eux non plus.
Le stage s’est déroulé dans un gymnase du 16ème arrondissement de Paris, et sans préparation particulière, je mis mon keikogi et muni de la liste de mes élèves, vint le moment de l’appel.
Je m’aperçus très vite que j’aurais dû lire ces listes avant de devoir appeler mes nouveaux élèves. Les souvenirs d’école où tous les professeurs écorchaient année après année mon nom et celui d’innombrables condisciples me revinrent en un éclair de désespoir. La mémoire est un outil parfois très inutile.
J’ai donc écorché le nom de plus de la moitié de mes élèves devant toute l’assistance de leurs parents et de tous les autres enfants et parents qui attendaient leur professeur pour d’autres activités. Un brouillard d’une soixantaine de personnes peut-être, que je ne regardais pas. Heureusement, j’avais mon hakama et ainsi revêtu de mon armure d’Aïki, je ne pouvais pas rougir.
Même parmi ceux qui me semblaient les plus blancs du monde, il n’y avait pas que des français. Entre les latins et les bretons, il y avait même une jeune norvégienne dont la peau était aussi noire que possible et dont le nom était aussi norvégien qu’imprononçable. Quand elle a levé la main, j'ai cru que c'était une plaisanterie, mais j'ai lu dans son regard que ça n'en était pas une. Elle devait avoir l'habitude, comme moi autrefois de répéter la prononciation correcte de mon prénom.
16ème arrondissement, foyer de mixité sociale? J’avais des enfants japonais, coréens, norvégiens, américains, hollandais, saoudiens et un tas d’autres dont je ne pouvais déterminer l’origine, des métis parfois de plusieurs générations, autant de prononciations et des parents qui leurs parlaient toutes ces langues, mais pas un seul de ces enfants mal à l’aise avec le français. Et moi qui pensais n'avoir que peu de préjugés.
Comme je savais que tout se jouerait au premier contact, j’ai continué avec aplomb et crié pour me faire entendre.
J’avais rencontré l’organisatrice à peine 15 minutes auparavant et comme j’avais été recommandé pour ce stage, je me souvenais des quelques mots qu’elle avait eu : « (…) mais vous, pas de problème avec votre discipline, vous saurez vous faire respecter (…) », j’avais répondu oui.
J’ai très vite compris un certain nombre de choses. Les enfants sont des humains comme les autres mais ils sont plus enclins que leurs aînés à se laisser aller à leurs penchants naturels. Et un groupe de ces jeunes créatures est une entité à part entière dont il faut saisir et conserver l’équilibre. Un peu comme une marmite pleine à ras bord d’eau tenue à bouts de bras et dont il faudrait retenir l’ébullition par la seule force de votre volonté.
Alors à moins de vouloir voir ces charmants jeunes humains s’enfuir en hurlant chacun dans une direction différente, il vous faut pouvoir attirer leur attention et la conserver. Il faut les emporter, devenir leur moteur et pour s’imposer, il faut parler fort, plus fort que tout le groupe réuni si nécessaire. C’est un exercice difficile, surtout si l’espace est ouvert. Plus l’espace est vaste, plus il faut le remplir et plus cela demande de l’énergie.
A l’occasion, ce n’est pas si compliqué, mais toute une journée, et la journée suivante, puis la suivante, c’est ça le vrai défi. Le premier soir, prenez des pastilles pour la gorge. Le lendemain, si vous n’arrivez pas à parler avec votre ventre, vous êtes cuit.
Autre détail important: lorsque vous devez tenir votre classe trois heures durant, n’oubliez pas de faire une pause à un moment donné, surtout si ils ont chacun un goûter dans leur sac. Après tout, à 5 ans, il est normal qu’ils aient aussi besoin de faire pipi.
J’avais d’autres préoccupations mais heureusement, les parents se sont plaints le lendemain. Et ils avaient raison. Car j’ai pu dès le cours suivant apprécier de laisser les enfants se défouler et de pouvoir moi aussi relâcher ma concentration et reprendre des forces. Je ne les avais pourtant pas empêché de lever le doigt…
J’ai beaucoup appris durant ce stage. Les enfants aussi j’espère. J’ai appris sur moi, sur l’enseignement et sur les enfants. Je me suis rendu compte aussi que lorsqu’ils sont vraiment intéressés par ce que vous faîtes, il n’y a aucune difficulté à diriger un entrainement.
Les garçons s’intéressent plus à ce que vous faîtes alors que les filles sont plutôt intéressées de savoir qui vous êtes. Mais garçons ou filles, ils sont aussi curieux les uns que les autres et dès qu’ils ont pris goût à quelque chose, on ne peut plus les arrêter.
Merci à tous les enfants du stage pour les choses que j’ai pu comprendre grâce à vous, merci à Keity qui m’a recommandé et surtout à Cécile qui a tout organisé.
Maintenant, je peux retourner à mes cours avec mes nouvelles armes, paré pour affronter des hordes de semi hommes enragés ;) !