Tamura Senseï à Vendôme les 15 & 16 Novembre 2008

Publié le 24 Novembre 2008

Je suis quelqu’un qui parle beaucoup pendant les cours. En revanche je n’écris que sous la nécessité, en début ou en fin d’année pour le club, et à reculons. Contrairement à Léo qui est un solitaire qui s'exprime par l'écrit je suis quelqu'un qui préfère s'exprimer lors d'une conversation.

Je me suis tout de même décidé à écrire un petit mot au sujet du stage donné par Maître Tamura ce week-end à Vendôme auquel j’ai participé car un évènement m'a particulièrement touché. 


Tamura senseï semblait encore plus qu'à son habitude hors du temps tant il défie les années par la maîtrise de sa discipline. Je fus particulièrement frappé par la déconcertante facilité avec laquelle il se joua de deux hauts gradés de trente ans plus jeunes lorsqu'il fit le lien entre le travail au sabre et à mains nues. Une démonstration éblouissante du plus haut niveau de l'Aïkido.

Après le cours réservé aux enseignants du samedi matin où nous disposions d'une surface suffisante pour pratiquer confortablement, celui du samedi après-midi était si rempli qu'il devenait presque impossible de chuter. La nécessité d’avoir une vigilance à toute épreuve en permanence et dans toutes les directions prenait ici tout son sens. Même chez nous à Herblay qui disposons d’un tatami immense comparé à la majeure partie des Dojo d’Aïkido, il arrive que les pratiquants se bousculent ou se chutent dessus. C’est rare mais inacceptable car il s'agit de la part des tori comme des uke d'un manque de concentration flagrant. Les pratiquants habitués à des espaces restreints sont de fait beaucoup plus vigilants. Je préfère évidemment disposer d’un large tatami mais le confort matériel ne doit pas être prétexte à un laxisme dans l'entraînement comme c’est parfois le cas. 


Deux élèves d’Herblay sont venus assister à ce stage. Pour une fois ce n’était ni Yannick, ni Julien, les deux pratiquants les plus assidus aux stages, mais Stéphane et Alexandre. Stéphane et Alexandre n'ont que deux mois et demi d’Aïkido derrière eux. Leur présence, leur enthousiasme et leur confiance m’ont à la fois surpris et touché.

Surmonter les obstacles que sont les obligations professionnelles, familiales et faire l'effort financier qu'implique la participation à un tel stage est généralement le signe d’un investissement qui ne vient qu’après une ou deux saisons. Mais pour ceux qui trouvent dans l'Aïkido quelque chose qui va au-delà d'une pratique de détente il n'y a aucune raison d'attendre autant et je conseille à chacun de suivre leur exemple. 

Il est des Dojos ou les professeurs déconseillent voire n’annoncent pas la tenue de stages avec des experts.

Pour se réserver l’accès à la connaissance? Par peur de perdre des élèves? Par désintérêt? Par certitude de posséder une maîtrise parfaite? Pour ma part je conseille à tous les élèves d’aller voir des experts afin d’apprendre et de se faire une opinion personnelle. La connaissance des différences est une richesse que l’on ne peut acquérir que soi-même et qui souvent éclaire notre propre recherche.

Mais l'évènement qui m'a le plus fait réfléchir ce week-end a eu lieu en fin de stage et allait au-delà de la technique.


Il y a toujours à la fin du dernier cours un petit cadeau symbolique qui est remis à maître Tamura, généralement suivi par un petit discours et un échange de remerciements. Pratiquant près du shinden je me suis naturellement retrouvé au premier rang lors du salut et intérieurement je n'ai pu m'empêcher de jurer en pensant  qu'il allait falloir que je reste un long moment en seïza.

Tamura senseï parlant toujours d'une voix douce sans hausser le ton je me consolais en pensant que je serai assez proche pour entendre et profiter de ses paroles.

Ce jour-là maître Tamura évoqua le souvenir de Daniel Boubault disparu il y a deux ans. Pour beaucoup Daniel était "le petit barbu qui parle japonais". Hormis cela je savais moi-même peu de choses de lui à part qu'il était un haut-gradé, cinquième dan, et qu'il plaisantait en permanence.

 

Maître Tamura dit à peu près ceci :

"Je ne sais pas si vous vous souvenez de Daniel Boubault qui est décédé. C’est encore un ami qui est partit trop tôt. Daniel était quelqu’un qui avait des faiblesses. Mais il les acceptait sans s’arrêter à celles-ci. Malgré elles, il a construit sa vie avec passion. Il parlait japonais, il pratiquait l’Aïkido, le Iaïdo, la calligraphie, le shiatsu. C’était un passionné du Japon toujours curieux et animé par la volonté d’aller au bout des choses.

Il était comme il était mais ce que j’appréciais véritablement chez lui c’est la manière dont il vivait, la façon dont il a construit sa vie, sa famille et son travail. Sans s’arrêter devant les difficultés, mais sans s’y opposer, en les appréhendant à la manière de l’Aïkido."

D'une voix grave il termina en annonçant:

"Fédération Française d’Aïkido et de Budo, Aïkikaï de France, Daniel BOUBAULT, 6ème Dan."

 

Du vivant de Daniel et même lors de l'annonce de sa mort je dois avouer que je n’avais jamais cherché à aller au-delà des apparences et savoir qui il était vraiment. Daniel était quelqu'un d'expansif, original, et mon caractère sans doute plus discret ne me portait pas particulièrement vers lui. Ignorer les gens qui ne sont pas conformes à nos attentes est une réaction aussi banale et commune… que stupide.

Les quelques mots de Tamura senseï me firent percevoir tout ce que j'aurai pu apprendre de Daniel si je l'avais regardé sans préjugés. Parlant mieux japonais que moi qui suis moitié japonais, 5ème Dan malgré sa petite taille, père de famille, il avait fait plus que nombre de ceux que le hasard favorise. Sans chercher à se conformer aux attentes de la masse il vivait pleinement et avec succès la voie qu'il avait choisie.

 

Voilà ce que le regard d’un Maître vit et appréciât en lui, ce qui fait la différence entre celui qui voit la vraie nature des choses et celui dont le regard n’effleure que la surface. Alors que mes genoux étaient engourdis je souffrais surtout à cet instant de ma cervelle bourrée de certitudes.


Bien que nous travaillions régulièrement avec des pratiquants d’autres dojos lors des stages, bien souvent, ces personnes restent pour nous de complets étrangers. On ne peut évidemment pas connaître tout le monde mais combien d’entre nous connaissent plus que le prénom de ses partenaires d’entraînement dans son propre dojo? L'Aïkido est une voie de recherche d'harmonie. Pour y arriver il est important de se connaître soi-même, mais aussi de s'ouvrir aux autres. C'est une leçon de Daniel que je n'oublierai pas.

 

 

Boubault-Daniel.jpg 

Désirée, Daniel et Scott

 

 

 

Rédigé par Issei Tamaki

Publié dans #Archives

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